On n’aura peut-être la plus belle vie, avec les moyens du bord. A moins que vous y mettiez fin.

On avait dit plus jamais ça. On l’avait dit si souvent. On avait dit, la prochaine fois qu’il est horreur moins le quart avant génocide, on aura un sursaut.

On n’a pas tous et toutes les mêmes horloges. Certaines vont plus vite. Certaines s’arrêtent.

– Il faudrait un temps universel. Il faudrait un droit universel.

– Il faudrait respecter le temps. Il faudrait respecter le droit.

Si un jour, il ne te reste qu’une seule graine à semer dans le sillon, et si c’est une graine de justice, que vas-tu en faire ? L’avaler pour la goûter et la chier, ou l’enfoncer et l’arroser ?

On aurait tort de s’arrêter là

Il y a toujours la vie quelque part sur cette planète. Parfois ici, parfois là. C’est un mystère absolu et pourtant cela semble être une évidence pour les formes de vie qui peuplent cette planète. Même pour celles et ceux qui ont appris, malheur, à se poser des questions. L’étonnement porte sur bien des choses, des détails, comme la forme que prennent leurs copulations, le respect des mythes, la couleur extérieure de la peau, l’incroyance, l’insubordination aux lois éphémères ou aux rites auto-imposés, l’isolement volontaire, la subjectivité des faits, le rejet de la fragilité. Mais pas sur ce qui sous-tend tout cela.

note d’observation 4.667,8
année indéterminée + 12.299.

Traduction par intelligence naturelle à 90% végétale.
Titre du recueil : “Rien n’est plus gros que ce qui a pris fin”.

« On aurait pu s’y tromper. La crinière, l’allure, le déplacement en petit troupeau. Mais non, il ne s’agissait pas de chevaux. Nous étions bel et bien en présence de lis. Les lis, des licornes, mais sans cornes. Encore plus rares que les licornes avec cornes, les lis ne se rencontrent qu’à l’orée d’un bois, au coucher du soleil, ou dans un désert habité, et toujours en période de déprime ou de crise. La présence des lis est un signe clair (toutes et tous les spécialistes s’accordent là-dessus) : l’espoir est permis.  Certaines, certains, vont même plus loin. L’espoir est un devoir. Ce sont celles et ceux qui s’y connaissent en tragédie qui disent ça. »

Carnet de voyage.

Histoire vraie

Elle vient tous les dimanches. Elle est habillée de manière très classique. Elle dépose son glaçon de gel hydroalcoolique sur la petite table. Elle a son porte-livre. Elle boit un cocktail, toujours le même, et elle apporte chaque fois ses olives dans un petit tupperware. Elle mange toujours la même chose, une soupe et un croque-monsieur. Elle est proche de la pension, voire à la pension. Je l’observe avec fascination. Qu’elle est étrange. Je ne vois pas le serveur qui ‘s’est approché de moi. « Bonjour monsieur. Comme d’habitude ? ».

Mères

Mères d’une vie, ou d’une pensée, ou d’une révolution, mères d’un mouvement d’ouverture, mères d’un lieu protecteur ou accueillant, mères de cœur, mères d’un regard, mères à chats, mères à fleurs, mères d’un exploit, mères courage, que la fête s’invite dans vos cœurs pour un cher instant.

Même encore à son âge, il m’appelle fréquemment maman, et je prends toujours ça pour un compliment.

Veste

Jakelie adorait retourner des vestes. Elle allait dans de beaux magasins, choisissait une jolie veste dans un rayon et allait se cacher dans une cabine d’essayage charmante. Elle retournait alors la veste lentement, avec une délectation infinie. Elle disait « Je la porterais comme ceci, je la porterais comme cela ». Retourner sa veste, pourquoi pas finalement, mais alors humblement, discrètement, silencieusement, intérieurement. Dans une cabine d’essayage par exemple.

Que oui

Tom avait toujours dit que non. Mais maintenant qu’il semblerait quand même que oui, Tom dit qu’il n’avait pas vraiment dit non. Il avait dit que si non, alors oui que non que oui. Du coup, c’était pas vraiment non. Tom pense même que si ça tombe, il est le premier à avoir pensé que oui tout en disant que oui que non que oui. Et que tout ceux et celles qui crient maintenant que oui ne disaient rien avant et que peut-être que c’est pire que de dire que non surtout si on pense que oui en même temps qu’on dit que non en sachant qu’un jour, de toutes façons, on dira que non mais bon, puis que oui peut-être, puis que oui mais attention, puis mais que oui, évidemment.

Tom joue avec les clés de sa jolie voiture. Que oui. Et ça, il le sait, oh que oui. Mais c’est pas pour ça qu’il le dit. Le fruit de la réflexion n’arrive jamais à l’esprit de Tom. « C’est pas moi qu’aurais croqué la pomme » dit Tom. Que non. Tom dort sur ses deux oreilles. Il dort comme un bébé pendant qu’on les assassine. Que oui.

Les embruns

Pierrette Segozin n’existe sans doute pas. Pourtant elle écrit des choses inoubliables de silence. Pierrette Segozin n’a jamais rien publié. Pourtant elle nous inspire à longueur de journée. Pierrette Segozin ne répond pas au téléphone. Pourtant, elle n’a jamais demandé de changer de numéro. Pour l’entendre, il faut tendre le cœur et saisir les mots qu’elle souffle dans tous les déserts du monde. Pierrette Segozin est à la poésie ce que le vent de la mer est aux embruns.

Peut-être que la présence n’existe que par l’existence de ceux et celles qui sont absentes. Et inversement.

L’élue

Nous aurons, à l’heure dite, la réponse tant attendue. Sommes-nous l’espèce élue, et si oui, est-ce nous alors le peuple élu parmi l’espèce élue, et si oui, suis-je moi l’élu des élus parmi les élus ? Dieu a voté et c’est maintenant que le dépouillement a lieu. C’est maintenant et tout mon corps espère, et toute mon âme craint. Des bruits courent. Ce ne serait pas un homme de notre peuple. Même pas de notre espèce. Même pas un homme. Nous, nous serions juste quelque chose. Voire même un petit quelque chose. Ce serait même une femelle, l’élu. Enfin, l’élue. Oooh que c’est bizarre de dire ça, l’élue. Que deviendra-t-on alors ? Et qui va changer le « il » en « elle » dans toutes les écritures ? Et comment allons-nous expliquer notre longue prétention, subitement injustifiée ? Sera-ce une girafe ? Une amibe ? Une salade ? De la pierre bleue ? Une caverne ? Une poche de gaz ? Une semaine de congé ? Qui sera l’élue ?