Chez cet enfant
Une blessure intime
Un amour inexistant
Ou inexisté
Une blessure
Qu’on n’a jamais assez soignée
S’est infectée
Et est devenue une maladie d’amour
Auto-immune
Qui fait qu’il se hait
Cet enfant
Et se porte des coups
De cœur
Et de poings
Et de pieds
Des coups comme des mots
Comme des pensées
Comme des actes manqués
Cet enfant n’a besoin que d’amour
C’est un enfant qui n’attend plus rien de nous
Alors qu’il aurait droit à tant
Si tu ne souffres pas mille peurs et mille pleurs en dirigeant son monde
Tais-toi, et couche toi, et prends doucement son monde dans tes bras
Et plus jamais ne pense à dire quoi que ce soit
Qui ne soit de l’amour
Catégorie : Non classé
Les flahutes
Sous les étoiles, les nuages.
Sous les nuages, nous.
Sous nous, vous, parti. es avant nous, avant ces nuages et peut-être, qui sait, avant ces étoiles, on ne sait pas pour les étoiles tant le faire-part met du temps à nous parvenir.
Vous, dit-on, parmi les étoiles, mais aussi parmi les nuages, là c’est votre nez, ici c’est votre sourire, et encore, vous parmi nous, par le souvenir d’une main posée sur la nôtre.
Le souvenir d’une cafetière sur un poêle (ou sur un convecteur).
Le souvenir de la tendresse pleine et entière dans un cœur essoufflé.
D’une croix dessinée du doigt sur le front.
D’un oubli.
D’une chaise posée derrière une vitre.
D’une chanson maladroite.
D’une chambre dans la pénombre et d’un ronflement.
De mille trajets à vélo, contre le vent.
Au pays des flahutes, le vent vient toujours de face.
Laval
Le dernier enfant qui quitte la salle se tourne vers une autre élève. Il lui dit « C’était vraiment chouette, on devrait venir plus souvent au théâtre ». Alors ta journée est réussie. Demain, on va encore te dire que le théâtre c’est inutile, bien sûr. Mais ce sera un peu moins déprimant parce que tu vas penser à cet enfant.
Moi je me souviens d’un spectacle vu à l’adolescence. Je me dis que si plus tard, il se souvient du nôtre, j’aurai un tout petit peu renvoyé l’ascenseur, celui de l’inutile saveur.
Petite histoire au Théâtre de Laval
Vieux con
Le maître – Un jour tu es un vieux con.
L’élève – Quand ?
Le maître – On ne sait pas. Ça peut arriver à n’importe quel moment.
L’élève – Mais c’est horrible.
Le maître – Oui, c’est horrible. Mais pas pour toi, pour les autres. Alors, un ton plus bas s’il te plaît.
Erps-Kwerps
Geongeon n’était pas un vrai Erpsien. Il était né à Erps, avait suivi toute sa scolarité à Erps, s’était marié et installé à Erps, avait été président du FC Erps. Certes, la mère de Geongeon était Erpsienne de mère en fille. Mais son père était né à Kwerps, et l’accent paternel salissait trop souvent les fins de phrases de Geongeon, surtout quand il s’énervait. Bon, maintenant qu’Erps et Kwerps formaient ensemble la commune d’Erps-Kwerps, la question était-elle toujours d’actualité ? Oui. Car en cas de fortes chaleurs, qui pourrait bénéficier de la douceur de la Weesbeek, la petite rivière traversant l’agglomération ? Qui aurait le droit de s’y baigner, vu que le cours d’eau entrait d’abord dans Kwerps avant de passer par Erps. Or, dans la gazette locale, on apprenait que 60 % des baigneurs et des baigneuses étaient plutôt d’Erps que de Kwerps. C’était donc principalement la population erpsienne, et non kwerpoise, qui profitait de la fraîcheur de l’eau de l’entité. A la maison communale, le débat faisait rage. Qu’est-ce qui faisait de nous des Erpsiens et des Erpsiennes. Qu’est-ce qui nous donnait une légitimité kwerpoise ? Qu’est-ce que la technique du dos coulé ? Qui met des slips de bain, qui des bermudas ? Est-ce que bikini + bonnet = trikini ? Ou habite exactement Marcel, l’homme au doigts de pieds palmés ? Geongeon aurait bien posé sa question, sa question à lui. Mais ce n’était pas le moment. Il retourna chez lui en se demandant encore et toujours qui déversait sans autorisation ce liquide noir et gluant dans la rivière, en amont du village. Peut-être quelqu’un de Winksele-Delle. Mais cette personne était-elle plutôt de Winksele ou plutôt de Delle ?
Sfork
Sfork était embarrassé. La bête immonde avait pondu en lui, des œufs gluants qui avaient éclos peu après. Les petits de la bête immonde étaient nés et avaient grandi en lui. La seule solution, c’était de les vomir et de les écraser pour les achever, mais c’était extrêmement éprouvant disait-on. C’est terrible de voir les petits de la bête immonde nageant, étourdis, dans votre propre vomi. Et cela fait des tâches sur la chemise. Finalement, Sfork s’était accroché et puis bon, un jour, les petits étaient devenus trop grands pour être vomis. Il était trop tard. Sfork était embarrassé. Il avait la nausée et cela ne passerait jamais. Il avait un teint bizarre, il était vert pâle. Il n’osait plus sortir de chez lui. Un jour, courageusement, il avait fait le tour du bloc en rasant les murs. À sa grande surprise, tous les passants avaient, eux aussi, le teint vert. Sur un coin, une femme à la peau blanche et claire était rouée de coup. Sfork s’était arrêté et, se sentant obligé, lui avait donné un petit coup de pied, pour participer à l’effort. Puis il était rentré rapidement chez lui. Maintenant, il était habitué à la nausée. Elle faisait partie de lui. Et ce teint vert lui convenait finalement. Il se disait que la prochaine fois, il sortirait avec ses bottes.
Dans la nuit, il avait fait un terrible cauchemar. Devant tout le monde, il avait défendu la femme battue par la foule. Au réveil, il en était tout retourné. Ce cauchemar, il l’avait fait régulièrement depuis cette nuit-là. Et à chaque fois, il se réveillait chamboulé. Contrairement à ce qui se passe avec la triste réalité, on ne s’habitue malheureusement pas aux cauchemars.
Grâce à son teint vert, grâce à ses bottes, Sfork est maintenant chef de gare. Il alerte les personnes détenant un titre de transport de l’heure théorique de départ et d’arrivée des trains. Rien n’est plus satisfaisant. Bien sûr, il n’y a plus de train depuis longtemps et les passagers font semblant de les attendre. Ces personnes s’asseyent et s’éventent avec leurs tickets, tickets pour des destinations lointaines ou proches en fonction de leur moyens, en attendant un train qui ne viendra pas. Et ils et elles finissent toujours par rentrer chez eux et chez elles le soir venu, sans avoir voyagé.
Tout va bien. Mais Sfork a quand même un problème. Dans la gare, de plus en plus de personnes ne détiennent pas de titre de transport. Elles trainent dans le hall de la gare, sur les quais, dans les toilettes publiques. Ces personnes ne servent à rien pour Sfork le chef de gare. Elles n’attendent pas les trains qui n’arriveront pas. Ces personnes, elles sont là, c’est tout. Elles évoluent dans la gare dont Sfork est le chef, mais elles n’ont pas de rapport avec Sfork, qui n’a rien à leur dire ni rien à leur demander. Ni tickets, ni destination. Pire. Ces personnes ont le teint pâle et cela rend Sfork de plus en plus vert.
Faites comme si ces personnes n’existaient pas lui dit la hiérarchie. Alors c’est ce que Sfork fait. Il ne voit plus ces gens, ne les entend plus, ne les sent plus. Et si les personnes qui ont un titre de transport ne sont pas contentes et se plaignent à leur tour ? Pourquoi avoir payé un ticket si n’importe qui peut errer dans la gare, sur les quais, dans les toilettes publiques ? Sfork leur donne alors le même conseil. Ne les voyez plus, ces sans ticket, ne les entendez plus, ne les sentez plus.
Les personnes sans ticket deviennent alors invisibles. Elles sont bien là, mais pas pour ceux et celles qui ont un ticket. Mais bientôt la quantité de personnes invisibles grandit, elle est bien plus grande que la quantité de personnes avec un ticket. On ne sait pas comment ça se fait, on ne sait pas si c’est vrai, on ne sait pas si cela va continuer comme ça, on ne pourrait pas savoir, comment aurait-on pu réfléchir à la situation de personnes qu’on ne voit pas ? Le matin, on n’arrive même plus à entrer dans la gare tant il y a de personnes invisibles dans le bâtiment, sur les quais, sur les rails même. Que va-t-on faire maintenant ? Comment expulser des personnes invisibles, des personnes trop nombreuses mais impossible à localiser ? Pourrait-on les gazer sans les voir ? Les tuer ? Peut-on rendre visibles des personnes qu’on a tant travaillé à effacer ? Sfork s’arrache les cheveux. Sa gare, aux mains de personnes sans ticket !
Pendant ce temps, deux invisibles s’embrassent dans un coin de quai. C’est toujours ça de pris se disent les invisibles. Un jour, cette gare sera peut-être bombardée pour préserver le bon fonctionnement du service du rail. Un tir à l’aveugle. De l’auto-défense de gare. Alors, en attendant, construisons le monde de demain.
Fragile(s)
On avait toujours raison d’hésiter mais jusqu’à la dernière seconde uniquement. Après nous hurlions nos vérités avant de claquer la porte. Alors, enfin, on se rendormait tranquillement.
C’est une grande leçon. Voir des gens dénoncer à juste titre le complotisme au travail sur un sujet, et ensuite voir les mêmes personnes le pratiquer sur un autre sujet. Avec la même arrogance et le même aveuglement.
Ce qui déshumanise, c’est de fixer quelqu’un dans sa fragilité. Ne voir que ça. Alors que personne n’est que fragilité. Ce qui déshumanise aussi, c’est de fixer quelqu’un dans sa puissance. Ne voir que ça. Alors que personne n’est que puissance.
Automne
Hier, Taum s’est regardé dans le miroir. C’était l’automne. Il avait enfin pris de belles couleurs.
A l’automne, il pleut beaucoup sur les joues de Taum. Ça nourrit des souvenirs de jeunes pousses et du coup Taum court dans la rue on criant youhou.
Il faut pardonner au temps. Lui aussi il fait ce qu’il peut. Il ne dit pas tout, peut-être pour nous préserver, puis un jour c’est l’automne dans le miroir et tout s’explique. C’est pas la faute au temps. Même pour lui, tout va trop vite.
Taum a écrit un livre de recettes. Ça commence par « Faites revenir le temps à feu doux ». Il n’a peut-être pas tort, Taum. A l’automne, faites revenir le temps à feu doux.
Le brouillard
Les coupes budgétaires proposées, souvent plus coûteuses à moyen et long termes pour les sociétés qui les pratiquent, sont-elles liées à un aveuglement idéologique, une obsession comptable, qui serait le socle des macro-austères, ou sont-elles plutôt le reflet d’un projet de société élargissant la base des pauvres pour permettre à un sommet de plus en plus réduit de s’enrichir encore plus, théorie galvanisante des pseudo-visionnaires ? Et surtout, est-ce là, aujourd’hui, toute l’amplitude du choix politique possible ? Débattre des raisons pour lesquelles on tient à appliquer la seule recette disponible, tout cela pour démontrer qu’on est historiquement dans le bon.
Si seulement nous avions
Un oiseau ça sert à quoi, à part à faire naître d’autres oiseaux ? Un oiseau, ça sert à rien. Ça sert à rien et ça vient picorer nos graines. C’est beuglard, un oiseau, et j’ai pas besoin de ça. Moi ce que j’aime, c’est regarder le ciel, assis sur le pas de la porte. Comme il est grand le ciel, comme il est haut, comme il me fait rêver. Alors moi, quand le gouvernement a proposé de leur couper les ailes, aux oiseaux, moi j’ai trouvé ça bien. J’ai voté pour l’idée, juste pour faire chier les oiseaux. Oui, moi j’ai trouvé ça bien. Manquerait plus que ça qu’ils planent, ces inutiles. Un oiseau ça sert à rien.
Hier j’ai eu une mauvaise nouvelle par le téléphone qui n’a de nouveau pas sonné. Assis sur le pas de la porte, j’ai voulu me consoler en regardant le ciel. Puis j’ai réalisé que le ciel non plus ça ne me servait plus à rien. Que si ça n’est pas traversé par des oiseaux, on peut se passer du ciel. Ça m’a fait drôle, mais j’ai décidé de penser à autre chose. J’ai recompté mes graines. Heureusement, le compte était bon.
Albert avait demandé tant de choses au ciel, assis sur le pas de la porte. De le sauver des démons, ou d’être le terrain de jeu de ses pensées secrètes et joyeuses. Mais le ciel ne peut plus rien s’il n’est pas traversé d’oiseau. Que va faire Albert maintenant de l’étendue qui couvre chacun de ses gestes, chacune de ses pensées ? Est-ce qu’Albert va continuer sa vie les yeux baissés ?Le ciel est haut, très haut, et c’est à ça qu’il sert. Et c’est grâce aux oiseaux qu’il nous fait rêver.
