« Que la force soit prioritairement avec ceux et celles qui en manquent. »
Le tag, apposé sur le mur de la grande mairie, était insupportable pour le grand chambellan. Il résumait à lui tout seul tout ce contre quoi le monarque s’était toujours battu. Il ordonna qu’on l’efface. Mais les ouvriers, mal nourris par des cuisinières mal fournies, n’arrivaient pas à faire disparaître la phrase odieuse. Ils étaient trop faibles et la peinture utilisée par quelque voyou semblait s’accrocher au mur avec l’énergie du désespoir. Le slogan resta donc là. Et depuis, tous les jours, les citoyens et les citoyennes de la petite ville passent devant le « mur de la honte du grand chambellan ». Celui-ci ne s’est jamais résolu à augmenter la ration des ouvriers pour leur donner des forces, préférant se plaindre de la paresse des petites gens.
Les parasites
Prenons un exemple. Un groupe de personnes, ici les conducteurs et conductrices de voitures de société, serait essentialisé. Iels seraient représenté. es comme un groupe homogène, aux comportements et antécédents identiques. On donnerait à ce groupe de personnes un nom qui serait le reflet d’une supposée qualité commune. Par exemple, vu qu’iels coûtent 3 à 6 milliards d’euros par an à l’état, donc à la collectivité, on déciderait de les appeler les parasites. Ah non, c’est déjà pris. Les voleurs et les voleuses alors. Que diraient ces personnes ? Et si ce terme était utilisé à tout va les concernant pendant des dizaines d’années jusqu’à entrer dans le langage courant, la pensée générale. Les conducteurs et conductrices de voitires de sociétés sont des voleurs et des voleuses. Créant alors de toute pièce un schéma qui va mener à des sentiments agressifs à leur égard. Un rejet de la part des autres citoyens et citoyennes. Les personnes qui sont au chômage pourraient aussi légitimement trouver cette rengaine du « Win for Life »/assistanat vraiment méprisante. D’abord parce que l’écrasante majorité des chômeurs et chômeuses le sont depuis quelques années, voire même un an. Ensuite, parce que la plupart des gens qui sont au chômage ont envie d’en sortir. Ce n’est pas chouette le chômage. Faire croire aujourd’hui que les chômeurs et chômeuses sont des personnes qui profitent, c’est un mensonge qui a de dangereuses conséquences. Cela augmente fortement l’agressivité et le mépris qui s’expriment déjà régulièrement contre ces personnes. Les politicien.nes regrettent à raison les amalgames qui accompagnent chaque révélation de fraude dans le chef de certains membres du personnel politique. Mais alors pourquoi véhiculer soi-même des tels propos à l’encontre d’autres groupes ? C’est terriblement décevant et décourageant, je trouve.
Poucet
On avait bien compris qu’on n’échapperait pas à la volonté de réarmement. Mais se réarmer, est-ce vraiment stratégique si c’est pour se tirer une balle dans le pied ? Voire, en ce qui nous concerne, une rafale entière.
L’ogre avait donné un ultimatum. Il fallait livrer un des sept frères pour le déjeuner. Sans quoi il entrerait dans une.colere noire. Six des enfants se décidèrent à livrer le septième. C’est petit Poucet qui fut sacrifié. Mais à peine l’ogre avait-il avalé Poucet qu’il déclara en soupirant que tout ça l’avait mis en appétit. Il demande un deuxième enfant.
Les fleuves
Il y a des sommets qui te transforment en rapaces,
Et d’autres qui te transforment en anges affreusement imparfaits.
Allons plutôt dans les vallées sombres pour écouter, l’oreille collée au sol, le chant des fleuves qui venant des hauteurs coulent jusqu’à leur embouchure pour se jeter très modestement dans l’énorme océan. Restons inspiré. es. Respirons.
Lotte
Lotte ne croit pas en dieu mais elle croit au diable. Lotte l’a même déjà croisé. Normal. Le diable ne se cache plus dans les détails. Il s’expose en pleine lumière. Fièrement. Lotte sait où est son petit paradis à elle. Lotte s’y rend quand les forces viennent à manquer. À l’entrée du paradis de Lotte, un panneau dit « Bienvenue ». Lotte se dit qu’au paradis, on doit pouvoir entrer comme dans un moulin. Lotte ne sera jamais seule, Lotte ne sera jamais sale, Lotte n’aura jamais de problème avec son miroir.
La digue
Tu as dans la main une petit tas de sable. Tu ouvres les doigts et une partie de ce tas de sable tombe, et s’envole, et très vite, disparait. Est-ce que les grains de sable qui restent dans ta main ont plus de place ? Non. Ils étaient dans une main, ils sont maintenant sur un doigt. Certains sur le majeur, d’autres sur l’index. Et ils sont aussi maintenant tous proches du vide. Ceux qui ont disparu, on n’en entend plus parlé. On ne sait pas où ils sont. Tombés sur la plage ? Perdus sur la digue ? Portés par le vent jusque dans l’oeil d’un touriste de passage ? On ne sait pas et finalement, maintenant, on a peur. Peur de tomber à son tour.
On n’exerce peut-être jamais la violence sans en ressentir un moment le souffle.
Tiercé-Gagnant III fut très étonné de la hargne que ses gueux mettaient à survivre. Et ses bourgeois s’en plaignaient. Il fallait bien faire quelque chose. Mais voilà, les gueux, on ne savait plus très bien où ils étaient. Tombés sur la plage ? Perdus sur la digue ? Portés par le vent jusque dans l’oeil d’un touriste de passage ?
Fichtre
Fichtreman est posté sur la crête de ses soucis. Il observe avec attention la ville qui s’endort, en contrebas. Lui ne pourra pas se reposer cette nuit. Trop de travail, trop de « Mince », de « Zut », de « Bon sang ! ». Fichtreman est très énervé. Il trouve que Nonmaisçasuffit Girl en fait trop sur les massacres loin d’ici. Est ce que vraiment ça concerne Fichtreman ? Est-ce que Fichtreman doit prendre du temps pour ça ?
Ce que Fichtreman ne sait pas, c’est que tant que Nonmaisçasuffit Girl n’aura pas assez été entendue, elle continuera à nonmaisçasuffire. Parce qu’elle, même si c’est loin de chez elle, ça lui fait peur d’abandonner les gens.
La crainte
Ce soir il n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il est venu près de moi partager sa grande crainte. Il s’est finalement endormi au creux de moi. Et maintenant qu’il est calme et serein, sa peur résonne en moi comme un énorme cri. Celles et ceux qui ne demandent qu’à aimer, laissons les faire, tant que le temps leur est donné. Sinon à quoi nous serviraient les mots, les gestes et les silences ?
L’air du temps
Méli – C’est l’air du temps qui fait de nous les personnes de notre époque.
Mélo – Non, c’est nous qui faisons l’air du temps.
Le débat faisait rage. Choisissons notre camp, disant l’une, non, choisissons notre vérité disait l’autre. Choisir un camp ? Celui des mots qui découvrent des horreurs ou celui de ces mêmes mots qui couvrent des tragédies.
Un mot n’a pas de contour net. Le mot génocide, par exemple, n’est pas une propriété privée définie par une clôture. C’est soit un terrain vague dans lequel se cache de terribles desseins, soit une interminable toile sur laquelle on peint avec précision, et à coups de larmes et de sang, les destins déchirés qui colorent l’œuvre.
Choisir ses mots. Avec précaution.
Il y a un génocide en cours.
Une tentative de réduire le plus possible la taille d’une population en particulier. De tuer l’espoir d’un retour à la normale. D’éradiquer une identité.
On a le choix, on a de moins en moins le choix, on ne l’aura plus longtemps. Le choix des mots.
Sioussy
Les exemples sont nombreux et cela se passe ici comme cela s’est passé ailleurs. Sans surprise, la guerre est comme toutes les guerres. Une sale guerre. Sans surprise, les hommes et les femmes qui y participent doivent faire face à l’horreur, mais aussi, forcément, à la culpabilité. Sans surprise, ils et elles doivent faire d’énormes saloperies, commettre des actes injustifiables. Sans surprise, elles et ils porteront ces taches sur leurs âmes jusqu’au fin fond de leur vie. Sans surprise, certains et certaines hâtent un peu le pas et se suicident. Les autres formeront sans surprise un peuple arraché à son humanité. La suite s’écrira dans un mélange de déni, de haine et de désespoir. Sans surprise.
La souffrance n’est pas un passe-droit, et chacun et chacune de nous le sait, même si nous prétendons le contraire dans nos discussions avec le miroir.
Sioussy prit d’abord le temps de respirer. Elle savait que la vengeance enseignait à l’autre camp une chose absolument infâme et dégueulasse : la vengeance.
