Monte Christo

Certes, on avait mis la joie au frigo et les problèmes à la casserole à pression. Mais enfin, il nous restait le confort des pantoufles et l’énergie du déni. Et nous faisions tous les jours un peu d’exercice physique : la souplesse qu’il nous fallait pour regarder ailleurs. Et puis est arrivée celle qui allait tout foutre en l’air avec une bonne humeur apparemment très contagieuse. Edgare qui tout à coup se mit à chantonner dans les couloirs. Rayeu qui souriait bêtement. Azet qui riait au milieu du repas. Alors, c’est totalement parti en cacahuète. Et aujourd’hui, j’ai peur. Un jour je me retrouverai au milieu d’une farandole sans avoir rien compris à ce qui m’arrive. Mes mains sur les épaules du précédent ou de la précédente, et des mains inconnues sur mes épaules à moi. La joie du mouvement peut-être. Ou même la sensualité de corps proches du mien. Et le pire. Aimer ça. Non. Il faut rester concentrée. Écouter les conseils. Trembler. Craindre. Haïr. Depuis hier quelqu’un frappe légèrement au mur de ma chambre. Que me veut-on ? Et si j’étais Monte Christote ? Mais enfin que me veut-on ? Me cacher dans un « body bag ». Me jeter par dessus le mur d’enceinte ? Me laisser m’écraser sur le tarmac de la route qui borde l’Ephad ? Non. Restons calme. Quand je tends l’oreille, j’entends comme un poème dans le murmure que laisse passer la paroi. « Nous qui vivons en attendant la mort, que savons-nous de ce que la mort espère de nous ? ». Si c’est pour dire des bêtises, c’est quand même mieux de dormir. C’est pas une heure pour philosopher. Maintenant, je ne dors plus. Depuis deux semaines je pense à cette question. Qu’est-ce que la mort attend de nous ? D’être vivante, je suppose. Être vivante. Voilà bien une nouveauté. Il va falloir que je me renseigne sur ce qui est possible à mon âge.

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