L’aigreur avait tout envahi. Les estomacs, les foies, les coeurs. Les pieds même. On avait parfois l’aigreur des pieds. On n’aimait plus trop aller là où nos pieds nous emmenaient. Du coup, ça suintait de nos pieds, un liquide brunâtre qui sentait le regret. Ça suintait par nos oreilles quand on avait l’aigreur des tympans et qu’on s’exaspérait de ce qu’on entendait. Ça suintait de notre bouche, quand on n’en pouvait plus de ce qu’on disait, et parfois ça suintait du coeur parce qu’on avait jusqu’à l’aigreur de nous. Un jour, mon voisin a atteint le dernier stade. Un matin, voilà que ça suintait de son SUV. Il fallait réagir. Le dernier refuge venait de tomber aux mains de l’ennemi, cette maladie invisible qui entrait sans frapper. Depuis son Carpool jusque dans l’égout du trottoir, la longue traînée sombre empestant l’info-trafic s’écoulait lentement, obligeant les passants à faire un détour en se bouchant le nez. Il fallait se rendre à l’évidence. La ville était infestée jusque dans ses plus petits recoins. Comment faire maintenant ? Fuir la ville ? Ou s’enfermer chez soi, ne plus ouvrir à personne ? Non. Il fallait sortir de là par le haut. Affronter le mal et isoler les malades. Il fallait battre l’aigreur au sprint. La première chose à faire était simple et si compliquée à la fois. Il fallait, disait-on dans mon manuel, poétiser tout. Nos cœurs, nos foies, nos estomacs, nos pieds, nos oreilles, nos bouches. Même nos SUV.
SUV
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