La culture politique de certaines personnes a changé depuis le 8 mars 2029. Maintenant, on se tait et on écoute. On n’explique plus que ce n’est pas possible. On écoute pour entendre ce qui est juste, même au-delà des mots. Ce n’est pas simple de s’adapter, et il y a des résistances. On ne se ferme plus à l’idée que notre idée n’est peut-être pas la meilleure des idées. On s’ouvre même de temps en temps. Hier, un marchand de légumes m’a prise dans ses bras. Ça m’a complétement bouleversée. Il était laid pourtant. Enfin laid, il était beau, mais il était laid aussi. Depuis, mon écharpe mayorale sent le poireau. Je déteste le poireau, mais j’ai adoré ce qu’il m’a dit.
« Il faut aller partout, non pour se montrer, mais pour regarder. »
J’ai trouvé cela très reposant. Bien sûr je suis rentrée à la maison communale chargée de problèmes à régler. Mais aussi, de solutions. Et surtout, je n’avais pas perdu mon temps. Avant, je passais mon temps à dire qu’il n’y avait rien à faire. Et j’étais payée pour ça.
« L’avenir, c’est comme l’horizon. Il recule à chaque fois que nous avançons, laissant à la pluie et à ses flaques la tâche de nous renvoyer une image floue du présent. » me dit une poète à la sortie d’une séance de théâtre scolaire. « Pourtant, chaque flaque dans laquelle trempe mes pieds est sur la ligne d’horizon de quelqu’un d’autre ». Dans ce théâtre, construit sous la direction d’un ingénieur et d’un architecte, la réflexion est un sport du quotidien. L’imaginaire, une nourriture. « Mais nous ne sommes pas des spécialistes de l’imaginaire » dit la poète. « On a juste plus de temps pour ça. Et pour vous, c’est la même chose. Vous avez juste plus de temps pour ce que vous faites ». Nous ne sommes tous et toutes l’incarnation d’une infime fraction de ce que nous aurions pu devenir. Pas la peine de croire que notre parole est plus lourde ou a plus de valeur que celle des autres. Impossible de savoir où est vraiment née une idée, les idées n’ont pas de nationalité et se promènent sans papier. Mais elles sont impossibles à enfermer.
Tout ça, c’est un peu mon crédo de bourgmestre maintenant. On se moque un peu de moi, mais les choses changent, petit à petit.
