Hors cadre

C’est une photo de groupe. Ils portent tous un chapeau, sans doute pour se protéger du soleil, et pas par coquetterie. En conséquence, on ne voit pas très clairement tous les visages. On voit par contre beaucoup de sourires. On lit la joie d’être représentés. Peut-être certains d’entre eux se sont-ils dit, ou pensé, « immortalisés ». Les manches de ceux qui sont encore en chemises sont remontées au dessus du coude. Les autres sont en liquette. On voit les bras musclés, et les énormes tâches de sueur et de crasse qui témoignent des efforts consentis et de la force mise en œuvre dans des conditions qu’on devine difficiles. On devine la camaraderie qui unit ces hommes. Une amitié dont on ne connaît pas les fondements. Se connaissaient-ils avant de se retrouver là il y a un certain temps ?
A l’arrière, dans la roche, une entrée creusée et renforcée par des poutrelles de bois. On ne voit rien de ce qu’il y a dans la cavité. Le constraste est trop fort et le trou et entièrement noir. On ne peut qu’imaginer. L’air plus frais. Le son, différent. Un autre silence peut-être. La vie différente de ce que l’on voit à l’image et de ce que montre les hommes en chemise ou en liquette.

Dans le coin droit de la photo, au bas de l’image, on voit un bout de bottines. C’est un plus petit pied, mais pas celui d’un enfant. Peut-être une femme. On voit aussi la dentelle d’une robe ou d’une jupe qui couvre la cheville et le mollet avant de disparaître dans l’immensité du hors- champ. Là commence le désert et tout ce qui l’habite. En ce compris, cette personne en robe ou en jupe. Ce désert, ce n’est pas le désert véritable. Celui-là est resté où il était et n’a pas bougé avec l’image, qui elle est maintenant accrochée dans une exposition, dans une petit ville, loin de là. Le désert dont on parle, c’est celui de la représentation. Il est très peuplé. On y marche lentement et la tête basse, pas parce qu’on a soif et chaud, mais parce que c’est cela qu’on apprend à celles et ceux qui sont en dehors du cadre.

C’est étrange, cette personne que le ou la photographe a décidé de ne pas cadrer. A moins que la photo ait été coupée. A la prise de vue, personne n’a osé demander à cette femme de ne pas se joindre au groupe. Et c’est seulement après avoir imprimé la photo qu’on en a coupé un morceau de l’image pour qu’elle n’apparaisse pas dessus. Mais on n’a pas pu éviter les bout de chaussure et de dentelles sans risquer de couper un morceau de jambe à l’homme a côté d’elle. Cette présence se devine et tout comme la grotte, elle éveille notre curiosité, mais de ça, elle s’en fout. Cette présence veut exister et pas faire rêver. Elle a participé à l’aventure de la grotte. Elle veut l’affirmer en  rejoignant le groupe d’hommes.

Plus tard, le groupe s’attendait à ce qu’à la vue de l’image, la présence effacée baisse la tête et s’éloigne lentement. Rien ne permettait à ses hommes d’imaginer que la présence effacée allait remonter ses dentelles et leur botter les fesses avec la bottine dont on ne voit qu’un petit bout. Pourtant, à en croire une rumeur qui circule, c’est bien cela qui s’est passé.

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