Il était devenu obligatoire de se repasser le cerveau. On le déposait sur une table, sur laquelle avait été étendu un tissu. Le fer était mis à température douce. On l’appliquait délicatement sur l’éponge à souvenirs et savoirs, qui en sortaient alors par petits jets. Comme des geisers de connaissances. On pouvait voir les contenus à la loupe, ou, pour les plus nébuleux ou plus anciens, au microscopes. Il fallait alors sélectionner. Le vote est un devoir citoyen, dans le grand plat. La croissance illimitée n’existe pas, dans la grande caisse. Le bruit de la foule dans la rue commerçante, dans le grand plat. L’absurde exercice reçu du maître d’école, dans la grande caisse. La peur de l’autre parce qu’il est différent, dans le grand plat. L’accolade un dimanche matin avant le départ, dans la grande caisse. La fierté du premier emploi, dans le grand plat. La question, un lundi matin, sur le sens de tout ça, dans la grande caisse.
On jetait ensuite la grande caisse aux ordures et on plaçait le cerveau ramolli par la chaleur dans le jus du grand plat. Le cerveau aspirait, aspirait, et quand il avait tout aspiré, on le remettait en place.
Gil faisait discrètement l’inverse. Elle jetait le contenu du plat et remettait le contenu de la caisse dans la gélatine neuronale chaude avec un entonnoir.
Gil était belle et drôle, et souvent, le souvenir de son rire finissait dans nos grandes boîtes.
