Sur une langue de terre qui plonge dans la mer, un petit soldat avance à pas de loup. Sur un morceau de pays, emportant un morceau de tissu, un petit menuisier dont on a fait un fusilier, se faufile entre les flaques sur la pointe des pieds. Il a mis dans son sac le drapeau de sa tribu.
Doucement, dans le noir, sous le vent qui l’envahit, entre la terre et l’océan, qui a porté jusqu’ici les ennemis, le petit soldat porte sur son dos l’espoir d’une tranchée d’amis. Des dizaines de bonshommes, appuyés sur leur fusil, qui espèrent voir au matin flotter sur la lande les couleurs qui justifient les longues nuits sous la lune et la mitraille. Petit soldat sait leur attente. Il connaît le but de sa mission, redorer le blason, rien de plus.
Un mètre encore, un mètre, pas plus, et ses bras se tendront vers le mat du bout du monde. Un mètre entre lui et la gloire, pour une place bien en vue, sur le bord de la cheminée. Pour une place en première ligne dans l’album de famille, une photo jaunie en vert bouteille dans un carnet de souvenirs.
Les amis dans la tranchée ont tous entendu. Un coup de feu, bleu comme la nuit. Un son froid, sec et tranchant sur le bord des tympans, dans le haut de la tête, et s’évaporent tous les soucis. Il a claqué et résonné, renvoyé par la mer vers le fossé où se cachent les prochains volontaires. Tous les regards se fixent sur les bottes, dans le fond du trou creusé par les fils d’instituteurs ou de boulangers.
Un petit soldat sur la lande, étendu de tout son long, le visage plongé dans le sable, a dans les mains son drapeau. Prise par le vent, l’étoffe se retourne sur son dos et vole doucement. D’un coup de botte, on le retourne. Même s’il est mort, petit soldat est encore un enfant. Il savait faire des tables douces pour la main et pour le pain, des tiroirs à souvenirs qui gardent les secrets pour tout le temps. Tout le temps du monde.
