2024/Albert

Albert fut prix d’une joie intense. Il vivait depuis 2 heures dans le monde de demain, un monde plein d’amour, d’émotion et de précaution, de soin, un monde merveilleux dans lequel chaque être trouverait une place, une vraie place, enfin une place quoi, et ce serait la condition au bonheur de tous. Alors Albert respira profondément, il inspira d’abord, et puis expira, car il fallait se débarrasser du CO2, et que maintenant on pouvait le faire sans arrière-pensée, et il posa les mains sur la table et sentit au coin de son œil une petite larme, une petite larme de bonheur, une petite larme pour un grand bonheur, car tout irait mieux bientôt. Ensuite Albert se demanda si tout cela était bien vrai, mais cette question bientôt s’envola, voilà, elle était partie cette question parce que bon, qu’est-ce que cela changeait, finalement, que cela soit vrai ou pas ? Ce qui comptait vraiment, c’était ce sentiment de bonheur intense qui gonflait maintenant la poitrine d’Albert, de sorte que les petits boutons blancs de sa chemise tentaient à certains moments de passer par la boutonnière. Voyant cela, Albert les aida, les boutons, et bientôt, il ne portait plus de chemise. Il sortit, sur son petit balcon, torse nu. Il salua le monde nouveau de la main. Puis, il éternua. Albert avait attrapé un rhume mais il s’en fichait parce que c’était normal d’attraper un rhume dans le monde de demain, surtout quand on sort sans chemise sur son balcon au mois de février, car oui, le monde de demain avait débuté au mois de février, en pleine canicule californienne, mais Albert n’habitait pas en Californie, mais à Asse. Le monde de demain commençait donc par un rhume pour Albert. Il souriait. Que c’était bon d’être enrhumé. Il souriait aux passants qui lui rendaient son sourire, malgré ses reniflements. Il souriait aux oiseaux. Au vent. Aux maisons, à leurs façades. Aux nuages. Aux chiens (il n’y avait pas de chats dans la rue à cette heure-là). Il sourit longtemps. Que cela faisait du bien de sourire avec la goutte au nez. Il allait rester là, sur son balcon. Jusqu’à la nuit tombée. Il voulait attraper la crève. Il allait attraper la crève. Et cette idée le réjouissait. Il savait pertinemment bien où il avait rangé sa bouillotte. Elle était dans l’armoire de la salle de bain. Et à côté de la bouillote, son étui en pilou beige. Albert allait attraper la crève et cette idée le réjouissait.

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