2038/Seth

Si vous poussez une pièce de monnaie vers le bord de la table sur laquelle elle est posée, au début, rien ne se passe. La pièce avance lentement, et sa situation ne change pas radicalement. Mais après un certain temps, elle tombe sur le sol en une fraction de seconde.

En une semaine, la plupart des produits vendus en magasin étaient devenus obsolètes. Qu’aurions-nous fait d’une tondeuse à gazon, d’un short de sport ou d’une coque de téléphone ? Par contre, dès le premier jour, la corde était devenue un produit stratégique. Nous avons pendu, d’abord ceux que nous estimions responsables de nos malheurs passés, puis ceux à qui nous devions les catastrophes à venir. Pendus à des lampadaires. La mise en scène des premières pendaisons étaient très contrôlée, mais très vite, cela s’est emballé.

Celles et ceux qui veulent éviter les horribles images marchent en regardant droit devant, ne levant pas le nez pour ne pas voir les corps sans vie, ne le baissant pas non plus pour éviter d’apercevoir leurs ombres. D’autres sont plutôt amusés et s’attardent parfois longuement, peut-être après avoir reconnu un des pendus. Dans ma rue, chaque lampadaire a été transformé en potence. Et en face de chez moi, du troisième étage, des gamins ont tiré avec un vieux fusil sur les cadavres pendant toute une journée. Le résultat est vraiment dégueulasse. Et puis les gamins ont fini par se lasser. Ils ont laissé tout ça aux oiseaux. Il faut dire qu’avec l’odeur, tout le monde ferme les fenêtres. D’ici quelques jours, suite au travail des corbeaux, des petits morceaux de corps vont commencer à tomber du ciel, avec le vent. Après la corde, les marchands vont commencer à vendre des parapluies.

Certaines disent qu’avec toute l’horreur que nous avons traversée ces derniers jours, nous allons maintenant vivre une ère de paix. J’ai envie d’y croire. Certaines disent aussi que nous devons y croire si nous voulons la vivre, cette période de douceur. Les gens quittent la ville par le nord, parce que des poétesses les invitent à se baigner dans un lac. Il parait que c’est là que nous nous lavons du passé. Un énorme lac. Elles prennent les gens par la main et les guident dans l’eau. Ceux et celles qui ne savent pas nager en reste aux genoux, mais d’autres se baignent longuement dans le lac qui nous guéri d’avant. Mais des voix s’élèvent déjà. Que va-t-on faire de ce lac quand toute la cité sera passée par là. L’eau sera polluée par notre imperfection. Que va-t-on faire de ce lac ? Que se passe-t-il si un oiseau, une biche ou un lion vient boire son eau ? Ou pire, un homme. Soit. Nous, nous faisons nos sacs et nous partons. Un autre monde nous attend, et il est à construire. Ça ne peut pas trop trainer.

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